Le musée de la Chasse et de la Nature expose actuellement l’oeuvre de l’artiste Tamara Kostianovsky. Une première en France pour l’artiste.
Voici pourquoi cette exposition inspirée et inspirante est à ne pas rater.
Matière à introspection
Enfant, l’artiste observait de près certaines opérations de son père médecin. Cette expérience marqua sa rencontre précoce avec la chair.
Bien plus tard, lors d’un banal accident à la laverie automatique, lors duquel un vêtement sortit rétréci et promis au rebut, naîtra l’idée de faire du tissu, un médium. L’upcycling* deviendra alors le mode d’expression privilégié de l’artiste et son oeuvre, une « autobiographie textile ».** Suite à la disparition de son père, l’artiste aura l’idée d’utiliser comme matériau de création, les tissus de ses pantalons en velours. L’artiste coud des histoires qui prennent racine dans sa perception du monde, sa sensibilité et les empreintes laissées par sa propre histoire.
Ses coupes de troncs inspirés de séquoias sont pleines de poésie et révèlent la sensibilité de l’artiste qui sculpte le tissu par couches, comme un sculpteur façonne la pierre.

Une oeuvre organique
« Le rouge de mon cours de peinture n’était pas simplement rouge : c’était la couleur du sang. Le jaune n’était pas la couleur du soleil, mais a couleur de la graisse qui remplissait les poches sous les yeux d’une dame âgée sur la table d’opération de mon père. J’ai été fascinée par ce qui se passe derrière la peau; et aujourd’hui encore, je me sers de ces souvenirs pour explorer le monde à travers le prisme du corps. »***
L’artiste donne forme à travers ses créations au concept de « chair du monde » développé par le philosophe Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) dans son ouvrage Phénoménologie de la perception. La perception du monde n’est pas seulement le résultat d’une simple activité cérébrale mais elle est pluri-sensorielle et corporelle. Le résultat d’une interaction, d’un corps à corps avec ses ressentis et sensations.
Le titre de l’exposition fait aussi écho à l’évanescence et la fragilité de la vie. Celle-ci est représentée à la fois dans sa beauté et toute son ambivalence, entre pouvoir de fascination et répulsion. Ainsi, ses carcasses de tissu de la série Tropical Abattoir suspendues surprennent et émerveillent malgré la trivialité apparente du sujet. Ces dernières semblent dialoguer avec les carcasses de la nature morte de François Desportes, (Nature morte du Régent peinte en 1716) exposée en toile de fond.
La mort évoquée par les carcasses renvoie à l’immobilité. Malgré tout, celles-ci sont en mouvement – grâce à un moteur qui les rend mobiles – et la métamorphose apparaît, des oiseaux et de la végétation paraissant s’en échapper.
L’artiste telle une alchimiste, évoque à travers elles, le cycle de la vie.
« Et le ciel regardait la carcasse superbe, comme une fleur s’épanouir(…) » Charles Baudelaire, Une charogne, Les fleurs du Mal (1857)

Un processus créatif cathartique
« L’épaisseur du corps, loin de rivaliser avec celle du monde, est au contraire le seul moyen que j’ai d’aller au cœur des choses, en me faisant monde et en les faisant chair. » M.Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, 1988
La série Tropical abattoir fait écho au vécu de l’artiste. Elles sont un écho à un souvenir de jeunesse, lorsqu’elle voyait des garçons bouchers dans les rues de Buenos Aires, en train de décharger des carcasses d’animaux.
Elle résonne aussi avec les événements qui l’ont marquée dans sa chair, corps et âme. En étant un hommage aux victimes disparues pendant la dictature en Argentine, tout comme un écho aux violences faites aux femmes ou encore l’assassinat brutal de sa propre grand-mère.
L’ art, par son pouvoir d’alchimie, de transformation évoque aussi le pouvoir de réparation. Comme si le fil qui sert à relier les tissus servait aussi à panser les plaies, les refermer, à soigner. La trace des plaies ne disparaît pas mais celles-ci sont comme transfigurées et sublimées.


Sources : * « Recyclage « par le haut », transformation des déchets en objets de valeur ou d’utilité supérieure » (définition tirée du document de présentation de l’exposition)
** et *** propos extraits de l’entretien réalisé par le musée de la Chasse et le la Nature dans le cadre de la préparation de l’exposition
Photographies des oeuvres dans leur ordre d’apparition : 1. Tropical Rococo, Tamara Kostianovsky, 2021, détail © rx & slag, Paris, ny — Théo Pitout 2. Uprooted, Tamara Koniatovski, 2020 © Rx & slag, Paris New-York 3. Quarter with Tropicalia, Tamara Koniatovski, 2022 © Rx & slag, Paris, ny — Théo Pitout 4 et 5. Tamara Kostianovsky en résidence à l’Atelier 11 Cité Falguière, Paris, février 2024 © Lara Al-Gubory
Pour aller plus loin : https://tamarakostianovsky.com/home.html
Exposition La chair du monde de Tamara Kostianovsky, jusqu’au 3 novembre 2024 au Musée de la chasse et de la Nature, 62 rue des archives 75004 Paris – https://www.chassenature.org/
